Un recadrage du dispositif « Dutreil » sur la transmission d’entreprises opérationnelles avant un probable recentrage sur la transmission d’actifs professionnels
Article de Réginald Legenre – publié dans le magazine Expression n°96 janvier / février 2024
La loi de finances pour 2024 légalise la doctrine administrative en excluant du dispositif « Dutreil » toute activité civile de gestion de son propre patrimoine immobilier (loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023).
Principes
Les transmissions par décès et les donations d’entreprises sont exonérées, sous certaines conditions, de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois quarts de leur valeur (dispositif « Dutreil ») sous réserve du respect de conditions différentes selon que l’entreprise est exploitée au travers d’une société (CGI art. 787 B) ou sous la forme individuelle (CGI art. 787 C). Aux termes des articles 787 B et 787 C du CGI, seules sont susceptibles d’ouvrir droit à l’exonération les entreprises qui exercent une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Activité commerciale au sens civil ou fiscal ?
Jusqu’au 10 octobre 2018, les activités de location meublée ou de location équipée étaient éligibles au dispositif Dutreil par renvoi de la doctrine de l’administration fiscale aux indications données dans le cadre de l’exonération des biens professionnels à l’ISF. L’administration fiscale avait ensuite modifié sa doctrine, laquelle précise depuis 2021 que sont considérées comme commerciales les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exclusion des activités de gestion de son propre patrimoine immobilier. Pour l’administration, les activités de construction-vente d’immeubles ou de marchand de biens sont par exemple éligibles. En revanche, sont exclues les activités de location de locaux nus, quelle que soit l’affectation des locaux, et les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation.
L’autonomie du droit fiscal au secours de la location immobilière
Par deux arrêts des 1er juin 2023 (n°22-15.152) et 21 juin 2023 (n°21-18.226), la chambre commerciale de la Cour de cassation a relancé le débat sur la définition de l’« activité commerciale » au sens du Pacte Dutreil en laissant entendre que la location de locaux commerciaux ou industriels équipés et la location de locaux meublés seraient des activités situées dans le périmètre du pacte Dutreil. De même, le Conseil d’Etat était venu rappeler à l’administration que si la location d’immeubles est traditionnellement regardée comme une activité civile, en ce compris la location d’immeubles meublés, l’autonomie du droit fiscal permet de regarder, depuis la création de l’impôt sur le revenu, l’activité de location d’immeubles meublés comme une activité commerciale au sens de l’article 34 du CGI lorsqu’elle est exercée de manière habituelle. Comme la Cour de cassation,
le Conseil d’Etat retient que l’exclusion générale de l’activité de location meublée du champ des activités commerciales visées aux articles 787 B et 787 C du CGI est illégale, celle-ci pouvant être commerciale si elle est exercée à titre habituel (CE 8e-3e ch. 29-9-2023 n° 473972). Comme le soulignait le rapporteur public Karin Ciavaldini dans ses conclusions, si le législateur souhaite exclure cette activité, il devra modifier la loi. Et la réaction du législateur, sous l’impulsion du gouvernement, a été rapide.
Fin du débat
L’article 23 de la loi de finances pour 2024 légalise la doctrine administrative et modifie les articles 787 B et 787 C du CGI, qui précisent désormais que l’activité commerciale s’entend « au sens des articles 34 et 35 du CGI » mais que l’exercice d’une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier n’est pas considéré comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Dans l’exposé sommaire de l’amendement n°I-5400 du 17 octobre 2023 d’où est issu ce texte, le gouvernement a conclu en indiquant que cette mesure « permet de clarifier le champ d’application de l’exonération « Dutreil » dans l’attente d’autres précisions qui pourraient centrer la mesure sur la transmission d’actifs professionnels ». Ce commentaire laisse ainsi présager un recentrage de l’exonération sur la fraction de la valeur des titres correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société et non plus sur la valeur globale de la société.
Pour toute question en droit fiscal, nous vous invitons à contacter Me Réginald Legenre, associé fiscaliste => r.legenre@herald-avocats.com