Plateformes d’intermédiation : Les nouvelles règles européennes

 

 

Par Anne Cousin, le 20 décembre 2019

Le règlement européen du 20 juin 2019 a pour objectif de garantir un environnement équitable et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne. Explications sur ce texte qui sera applicable le 12 juillet 2020.

Les services d’intermédiation en ligne ont pris une importance considérable dans les échanges commerciaux mondiaux. Rien qu’en Europe, 42% des PME auraient recours à des « marketplaces » pour commercialiser leurs produits et leurs services.[1] En France seulement, on compterait quelques 7 000 plateformes, tous types d’activités confondus.[2] Puissants facilitateurs de l’entrepreneuriat et de l’innovation, ces intermédiaires ne sont pas sans susciter d’importantes réserves.

Leurs pratiques commerciales peuvent être en effet abusives et franchement déséquilibrées à leur profit.

C’est d’ailleurs le « déséquilibre significatif », au sens de l’article L.442-6 I 2° du Code de commerce[3], d’une dizaine de clauses du contrat conclu entre Amazon et les vendeurs tiers qui a conduit le Tribunal de commerce de Paris, dans un jugement du 9 septembre 2019, à ordonner sous astreinte à celle-ci de « cesser de mentionner et de mettre en œuvre » les dispositions en question et l’a condamnée en outre à une amende de 4 millions d’euros.[4]

Le Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019[5] a précisément pour objectif de « garantir un environnement équitable, prévisible, durable et inspirant confiance pour les opérations commerciales en ligne au sein du marché intérieur ».[6]

Entré  en vigueur le 1er août 2019, il sera applicable à compter du 12 juillet 2020.

Son champ d’application matériel est extrêmement vaste. Il englobe les plateformes de commerce électronique, les moteurs de recherche, les boutiques d’applications, les réseaux sociaux et les comparateurs de prix.[7] Il ne s’intéresse toutefois qu’aux relations entre ces acteurs et les entreprises qui recourent à leurs services.

Son champ d’application territorial l’est tout autant puisqu’il s’applique aux services d’intermédiation en ligne et aux moteurs de recherche en ligne établis ou non dans un Etat membre, si les entreprises utilisatrices y sont établies et qu’elles proposent leurs biens ou leurs services à des consommateurs situés dans l’Union au moins pour une partie de la transaction.[8]

La loi française avec lequel le droit européen devra s’articuler[9] est de son côté loin d’être muette sur la question.

Plusieurs textes existent en effet, notamment la loi n°2017-1321 du 7 octobre 2016 « pour une République numérique » qui définit l’opérateur de plateformes en ligne[10] et plusieurs autres dispositions éparpillées dans le Code du tourisme, le Code des transports et le Code général des impôts.[11]

Des contradictions ou des redondances sont inévitablement à craindre.

Toutefois, le Règlement aura des incidences très importantes sur les conditions générales de l’ensemble des fournisseurs de services d’intermédiation en ligne, conditions générales qui sont peu abordées par la réglementation française et qu’il convient donc de commenter en premier lieu.

Ensuite, le « classement » des entreprises utilisatrices, sujet sensible, fait l’objet d’un article 5 qui mérite aussi qu’on s’y intéresse dans le détail.

La suspension ou la résiliation totale ou partielle de la fourniture des services d’intermédiation par la plateforme est un autre sujet crucial pour les entreprises utilisatrices, auquel le Règlement consacre un long article 4 qui n’est pas sans soulever d’importantes questions de cohérence avec le droit français.

Enfin, si le Règlement est muet sur la responsabilité des plateformes, l’occasion est donnée de finir par quelques mots sur les conditions dans lesquelles elle peut être engagée.

 

1- L’impact du Règlement sur les conditions générales

 

Les conditions générales des services d’intermédiation en ligne sont bien évidemment un outil puissant de promotion de l’équité et de la transparence voulues par le Règlement. C’est donc fort logiquement qu’il s’intéresse de très près à leur contenu ainsi qu’aux modalités selon lesquelles elles sont portées à la connaissance des entreprises utilisatrices.

Disponibilité, transparence et stabilité sont les exigences fondamentales de ce nouveau texte qui devrait conduire de nombreuses plateformes à revoir en profondeur leurs contrats actuels.

1.1    Disponibilité des conditions générales

Disponibilité tout d’abord, puisqu’elles doivent être « facilement accessibles aux entreprises utilisatrices à toutes les étapes de leur relation commerciale » avec la plateforme, et ce y compris « au cours de la phase précontractuelle ».[12]

Il sera donc désormais impossible aux entreprises utilisatrices « d’oublier » les conditions dans lesquelles elles ont accepté de s’engager et elles s’épargneront les recherches parfois  fastidieuses à cet égard. À tout moment des relations contractuelles, elles pourront vérifier la nature, l’objet et la portée des engagements souscrits.

Pour leur permettre de se décider en connaissance de cause, les conditions générales devront également être faciles à consulter dans toutes leurs dispositions.

En conséquence également, la plateforme se verra contrainte de dévoiler à ses concurrents les caractéristiques essentielles de ses services et de ses prestations et par là même, une partie de son savoir-faire.

Il pourrait être tentant de renvoyer la description de ces mêmes services et prestations à un document distinct des conditions générales mais avec le risque que leur caractère contractuel – et donc contraignant – soit sujet à discussion.

Les conditions générales qui ne seraient pas disponibles de la phase pré contractuelle à la rupture des relations commerciales sont nulles et non avenues[13]. On peut s’interroger sur l’efficacité d’une sanction aussi lourde. La protection de l’entreprise utilisatrice (objectif manifestement poursuivi) sera-t-elle réellement renforcée par la nullité du contrat conclu avec la plateforme ? Il est permis d’en douter.

1.2 Transparence des conditions générales

Non seulement les conditions générales devront être rédigées de manière « claire et compréhensible » mais elles devront aussi comporter de nombreuses informations de nature et de portée fort variées.

On ne s’étonne pas par exemple qu’elles doivent préciser les conditions dans lesquelles les parties pourront mettre fin à leurs relations contractuelles.

Plus novatrice est l’obligation d’indiquer les autres canaux de distribution par lesquels les services d’intermédiation en ligne commercialisent les biens et les services des entreprises utilisatrices ainsi que tout traitement différencié accordés à des tiers, ou encore l’accès technique et contractuel où l’absence d’un tel accès aux données, personnelles ou non, des entreprises utilisatrices qu’elles-mêmes et les consommateurs transmettent à la plateforme.

Le défaut de fourniture de certaines de ces informations par les conditions générales est sanctionné par la nullité.[14]

Cette obligation de transparence s’inscrit dans une tendance puissante du droit contemporain des contrats à renforcer l’information précontractuelle et contractuelle due par chaque partie à l’autre. La réforme récente du droit français des contrats le confirme.[15]

C’est aussi le cas de nombreux textes consacrés aux plateformes d’intermédiation en droit interne. Cette obligation d’information bénéficie essentiellement aux consommateurs[16] et c’est l’apport incontestable du Règlement de s’intéresser également à la situation de l’entreprise utilisatrice du service d’intermédiation et de tenter de corriger le déséquilibre informationnel existant entre celle-ci et la plateforme.

1.3  Stabilité des conditions générales

Enfin, la plateforme ne pourra plus imposer la modification des conditions générales aux entreprises utilisatrices comme c’est bien souvent le cas actuellement.

Désormais, les modifications des conditions générales ne seront applicables qu’à l’expiration d’un délai de préavis « raisonnable et proportionné à la nature et à l’étendue des changements envisagés et à leurs conséquences pour l’entreprise utilisatrice concernée ». Dans tous les cas, ce préavis sera d’au moins quinze jours.

Le texte du Règlement invite à considérer que ce préavis pourrait être différent selon les entreprises utilisatrices et leur situation respective, ce qui risque d’être particulièrement contraignant pour les plateformes.[17]

Cette analyse est confirmée par le fait que le Règlement impose également aux plateformes un délai de préavis plus long lorsque les entreprises utilisatrices doivent effectuer « les adaptations techniques ou commerciales nécessaires pour se conformer au changement ».

Si les changements proposés des conditions générales ne lui conviennent pas, l’entreprise utilisatrice peut résilier le contrat conclu avec la plateforme. Elle ne sera donc plus contrainte de les accepter.

Le Règlement précise que les changements des conditions générales appliquées par la plateforme, contraires au mécanisme décrit ci-dessus, sont nuls et non avenus.

Il condamne donc de la manière la plus vigoureuse une pratique fort répandue du commerce électronique, déjà stigmatisée par le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 2 septembre 2019 à l’égard de plusieurs sociétés du groupe Amazon.

Comme il est en effet fréquent, le contrat liant l’entreprise à la plateforme permettait à
cette dernière « d’amender toute disposition contractuelle à tout moment et à (son) entière discrétion », de telles modifications prenant « effet au moment où elles sont affichées » sur le site, et sans préavis.[18]

S’inspirant du Règlement, le jugement retient le déséquilibre significatif créé par une telle clause au motif notamment que l’information préalable du commerçant est indispensable pour lui permettre de prendre la décision « stratégique » de résilier le contrat ou, tout en restant lié contractuellement à la plateforme, de « revoir son organisation commerciale et/ou son offre ».

Le jugement écarte toute justification qui serait tirée par Amazon des contraintes de fonctionnement d’une « place de marché automatisée » et lui enjoint donc de retirer une telle clause de ses conditions générales.

 

2 – Le classement des entreprises par la plateforme

Comme le souligne les considérants du Règlement, le classement des biens et services par les plateformes d’intermédiation a une incidence importante sur le choix des consommateurs et en conséquence sur la réussite commerciale des entreprises offrant ces biens et ces services.[19]

Il promeut un principe de prévisibilité selon lequel les plateformes élaborent ce classement de manière non arbitraire et décrivent les principaux paramètres qui le déterminent.

Une telle préoccupation n’est pas sans rappeler les motifs qui ont conduit le Tribunal de commerce de Paris dans son jugement « Amazon » déjà évoqué à juger déséquilibrées les conditions et modalités de mise en œuvre de « facteurs de performance » reposant au préjudice des entreprises utilisatrices, sur des « indicateurs » imprécis, inconnus de celles-ci, ne dépendant pas uniquement de leur comportement et sujets à une évolution discrétionnairement décidée par Amazon.[20]

C’est pourquoi le Règlement prévoit à son article 5 que les conditions générales devront comporter un certain nombre de précisions essentielles à la compréhension de leur classement par les entreprises utilisatrices. Il s’agit ici d’en fournir les principaux paramètres et les raisons justifiant leur importance relative.

Si le classement dépend d’une rémunération directe ou indirecte de la plateforme, cette information doit aussi être portée à la connaissance des entreprises utilisatrices.

Celles-ci doivent également être en mesure de déterminer si et dans quelle mesure, le classement tient compte des caractéristiques des biens et des services qu’elles proposent ainsi que la pertinence de ces caractéristiques pour les consommateurs.

La loi française n’est pas exempte de ce type d’obligation, mais stipulée en faveur du consommateur.

L’article L.111-7 du Code de la consommation, modifié par la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique impose à tout opérateur de plateforme en ligne de délivrer aux consommateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels elle permet d’accéder.

Elle doit aussi révéler l’existence d’une relation contractuelle, d’un lien capitalistique ou d’une rémunération à son profit, dès lors qu’ils influent le classement, le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne.[21]

Consommateurs et entreprises bénéficient donc désormais d’une information technique et économique étendue et aux contenus quasiment similaires.

Toujours dans l’objectif d’améliorer la loyauté des plateformes, le Règlement leur demande d’inclure dans leurs conditions générales la description de tout traitement différencié qu’elles accorderaient ou pourraient accorder en relation avec les biens ou services proposés par leur intermédiaire.[22]

Néanmoins, la non-conformité des conditions générales aux dispositions ayant pour objet d’accroître les obligations d’information de la plateforme ne sont pas sanctionnés par leur nullité.

Sa responsabilité pourra toutefois être recherchée pour manquement à l’obligation d’information sur le fondement de la responsabilité délictuelle ou de la responsabilité contractuelle conformément au droit commun.[23]


3 – La suspension et la résiliation du service d’intermédiation

 

L’article 4 du Règlement est entièrement consacré à la décision de la plateforme de restreindre, de suspendre ou de résilier la fourniture de ses services d’intermédiation à une entreprise utilisatrice donnée.

Le principe est que la plateforme transmettra « l’exposé des motifs » de cette décision sur un support durable avant qu’elle ne prenne effet ou au moment où elle prend effet, et dans le cas de la résiliation, au moins trente jours avant sa prise d’effet.[24]

On rappellera que les motifs des décisions de suspension, résiliation ou restriction doivent figurer dans les conditions générales à peine de nullité de celles-ci.

Dans la mesure où le Règlement « ne porte pas atteinte au droit civil national en particulier au droit des contrats » et notamment « les règles relatives (…) à la résiliation d’un contrat »,[25] toute décision de restreindre ou de résilier la relation contractuelle, fondée sur une faute de l’entreprise utilisatrice supposera une mise en demeure préalable sauf circonstances exceptionnelles, détaillant les manquements reprochés et les conséquences de celle-ci.[26]

En outre, la plateforme ne pourra, sans recours au juge, résilier la relation contractuelle qui la lie à l’entreprise utilisatrice qu’à la condition que les conditions générales comportent une clause résolutoire détaillant les obligations dont le manquement est susceptible d’entraîner une telle résiliation.[27]

La décision de la plateforme permet à l’entreprise utilisatrice de recourir au système interne de traitement des plaintes, prévu à son article 11, et ainsi de « clarifier les faits et les circonstances » qui lui sont reprochés et le cas échéant obtenir la révocation de la décision prise à son encontre.[28]

Le Règlement précise que le préavis de trente jours au moins, imposé à la plateforme pour transmettre à l’entreprise utilisatrice les motifs de sa décision de résiliation n’est pas applicable lorsque celle-ci a enfreint à plusieurs reprises les conditions générales. Une telle disposition parait contraire au droit français prévoyant, sauf circonstances exceptionnelles, la notification d’une mise en demeure de se conformer aux engagements souscrits.[29]

En cas de violation réitérée des conditions générales, l’entreprise utilisatrice n’a pas davantage le droit d’obtenir l’exposé des motifs de la décision. Là encore, la contrariété au droit interne français doit être relevée[30] et on peut aussi douter de sa pertinence et de son opportunité.

La rédaction de l’article 4 du Règlement invite à considérer que les décisions de restriction, suspension et résiliation pourront être prises pour d’autres causes que les manquements de l’entreprise utilisatrice aux obligations souscrites envers la plateforme, telles que par exemple à celles qui le sont exclusivement à l’égard des consommateurs des biens ou des services proposés.

On sait toutefois que la distinction est parfois difficile à effectuer dans la mesure où de nombreuses plateformes d’intermédiation s’immiscent dans l’exécution du contrat passé entre entreprise et consommateur.

Sans parler en effet du cas particulier des plateformes d’intermédiation dans la réservation d’hébergement entre particuliers[31], il arrive fréquemment que la plateforme stipule dans ses conditions générales et à son profit, une obligation de l’entreprise utilisatrice de se conformer à ses engagements contractuels à l’égard de son propre client.

De ce fait, si l’entreprise utilisatrice viole ses obligations à l’égard de ce dernier, elle méconnaîtra aussi les engagements souscrits au profit de la plateforme.

Dans d’autres cas au contraire, aucun engagement contractuel n’aura été souscrit. Tel sera le cas par exemple dans l’hypothèse de « mauvaises notes » régulièrement attribuées à telle ou telle entreprise, qui de ce fait, compromettent la réputation de la plateforme.

Le Règlement n’interdit pas dans ce cas la suspension ou même la résiliation du contrat mais exige en principe, un exposé des motifs et un préavis.

L’article 4 du Règlement prévoit enfin que si la décision de restriction, suspension ou résiliation est révoquée dans le cadre du système interne de traitement des plaintes prévu à l’article 11, la plateforme doit à nouveau permettre à l’entreprise utilisatrice d’accéder aux données à caractère personnel et aux autres données qui découlaient de l’utilisation des services.

Le Règlement consacre un article entier à cette question en prévoyant que les conditions générales devront préciser si et selon quelles modalités, les entreprises utilisatrices pourront accéder à toute donnée qu’elles-mêmes ou les consommateurs transmettent pour l’utilisation des services en ligne concernés.

Le Règlement prend soin de préciser que les dispositions du Règlement (UE) 2016/679 sur la protection des données à caractère personnel trouveront naturellement pleinement à s’appliquer.

 

4 – Quelle responsabilité pour les services d’intermédiation ?

 

Le Règlement fixe le contenu des conditions générales, impose l’instauration d’une procédure de traitement des plaintes des entreprises utilisatrices, les oblige à tenter de parvenir à un accord par l’intermédiaire d’un médiateur en cas de litige, mais ne dit rien des conditions dans lesquelles la responsabilité de la plateforme pourrait être engagée.

On le rappelle, le Règlement est sans préjudice des règles nationales qui interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales et ne porte pas atteinte au droit civil national.

En droit français, les plateformes peuvent donc voir leur responsabilité engagée au motif qu’elles auraient rompu leur relation commerciale établie avec une entreprise utilisatrice sans préavis suffisant, ou parce que, on l’a vu, certaines des dispositions de leurs conditions générales seraient de nature à créer un déséquilibre significatif en leur faveur.

On peut même dire que le respect du Règlement ne les met pas à l’abri d’un recours introduit sur de tels fondements.

Dans son jugement du 2 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris a par exemple considéré que la clause des conditions générales d’Amazon écartant toute responsabilité de sa part en cas de faute consistant à perdre ou endommager le produit que l’entreprise utilisatrice lui a confié était affectée d’un déséquilibre significatif.

Les conditions générales des plateformes devront donc non seulement intégrer les différentes dispositions prévues par le Règlement mais aussi veiller à ne pas encourir de griefs sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce.

Par ailleurs, le droit français est aujourd’hui fixé en ce sens qu’en principe la plateforme est un intermédiaire technique dont l’activité est de mettre en relation des entreprises et des particuliers ou des particuliers ou des entreprises entre eux, sans que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat passé par son intermédiaire ne puisse lui être reprochée.

Toutefois, l’influence décisive exercée par la plateforme sur les conditions de la prestation des services est susceptible de rendre ces services indissociables du service que ce prestataire fournit par voie électronique.

Cette analyse a conduit la Cour de justice de l’Union européenne à considérer qu’Uber France fournissait un service d’intermédiation « qui fait partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est le service de transport », et non un service de la société de l’information au sens du droit de l’Union.[32]

La solution diamétralement opposée a été retenue à l’encontre d’Airbnb.

Les services d’hébergement ont été jugés ne pas être indissociablement liés aux services fournis par Airbnb par voie électronique au motif qu’ils peuvent être fournis indépendamment de ce service et qu’Airbnb n’exerce pas de contrôle sur tous les aspects économiquement pertinents du service d’hébergement de courte durée.[33]

S’agissant cette fois des informations stockées, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé deux fois qu’en leur qualité d’hébergeurs, les plateformes ne sont susceptibles d’engager leur responsabilité qu’à la condition d’avoir connaissance de l’illicéité du contenu et de n’avoir pas pris toute mesure pour le supprimer ou en rendre l’accès impossible dans un bref délai.

Il l’a retenu à l’égard du Bon Coin car la plateforme ne fournit pas d’assistance à la rédaction des annonces, ne détient pas un rôle éditorial, ne fixe ni le prix ni les modalités de remise du bien vendu via un simple rôle d’intermédiaire.[34]

Il l’a à nouveau tout récemment jugé, et pour les mêmes motifs, au profit de la plateforme d’e-commerce Cdiscount.[35]

 

[1] Comm. UE, communiqué, 14 février 2019.
[2] Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne, Comm. (2018) 238 final du 26 avril 2018, www.senat.fr.
[3] Dans sa rédaction antérieure à la réforme opérée par L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019
[4] TC Paris, 1ère Chambre, 2 septembre 2019, RG n°2017050625-09/11/2017.
[5] Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, publié au JOUE le 11 juillet 2019
[6] Cons. 7 du Règlement
[7] Articles 1 et 2 du Règlement ; Comm. UE, communiqué, 14 février 2019.
[8] Article 1 du Règlement et cons. 9.

[9] Le Règlement est « sans préjudice des règles nationales [et] ne porte pas atteinte au droit civil national, en particulier au droit des contrats (…) dans la mesure où les règles du droit civil national sont conformes au droit de l’Union et où les aspects pertinents ne sont pas régis par le présent règlement » (article 1 4.) du Règlement).
[10] Article 49 de la loi n°2016-1321du 7 octobre 2016, devenu l’article L.111-7 du Code de la consommation.
[11] « Plateformes numériques et protection des données personnelles du consommateur », H. Claret, Contrats Concurrence Consommation, n°7, juillet 2018, étude 10.

[12] Article 3 b) du Règlement.

[13] Article 3 3 du Règlement

[14] C’est le cas lorsque font défaut les motifs des décisions de suspension et de résiliation de la plateforme ou des informations sur les canaux de distribution supplémentaires par lesquels les plateformes commercialisent les biens et les services des entreprises utilisatrices.
[15] Article 1112-1 du Code civil.
[16] Article L.111-7 du Code de la consommation

[17] Article 1 2 du Règlement.
[18] TC Paris, 1ère Chambre, 2 septembre 2019, RG n°2017050625-09/11/2017

[19] Cons. 24 du Règlement.
[20] TC Paris du 2 septembre 2019, ibid.
[21] Article L.111-7 II du Code de la consommation.
[22] Article 7 du Règlement.

[23] « Les contrats de l’économie collaborative », Lamy Droit Economique, n°6177.

[24] Article 4 1 et 2 du Règlement.
[25] Article 1 4 du Règlement.
[26] Articles 1225 et 1226 du Code civil.
[27] Article 1225 du Code civil.
[28] Article 4 3 du Règlement.
[29] Article 1226 du Code civil. 

[30] Ibib.
[31] « La responsabilité des plateformes d’intermédiation dans la réservation d’hébergement entre particuliers », par Lêmy Godefroy, Communication Commerce Electronique, n°2, février 2019, étude 5.

[32] CJUE, 10 avril 2018, Aff. C-320/16, Uber France, ECLI : EU : C : 2018 : 221.
[33] Lamy Droit Economique, op. cit. n°6172.

[34] TGI Paris, 3ème Chambre – 2ème Section, 4 décembre 2015, www.legalis.net
[35] TGI Paris, 3ème Chambre – 2ème Section, 28 juin 2019, www.legalis.net.