Les enjeux juridiques du metaverse
Par Anne Cousin – ECommercemag.fr, le 3 mars 2022
L’e-commerce se prépare à l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA) début 2023 et déjà, le ou plutôt les metaverse, s’invitent dans le débat avec l’annonce de projets importants et novateurs dans le secteur. Quels sont les enjeux juridiques de ces mondes virtuels présentés comme l’avenir du commerce en ligne ? Quelles réponses y apporter ?
Le premier de ces enjeux est indiscutablement celui de la possible réduction de la concurrence. Demain, une ou deux plateformes de metaverse (Microsoft, Meta…) pourraient être en mesure de dicter leurs conditions au marché. Pour vendre sur ces plateformes, il faudrait nécessairement accepter leurs conditions contractuelles déséquilibrées (déréférencement, explosion des redevances, utilisation impérative d’une monnaie cryptée stockée chez une filiale…). Le risque est donc celui de voir une poignée de plateformes faire la loi sur le commerce dans ce nouvel univers. Les sanctions des abus de position dominante, des clauses significativement déséquilibrées existent déjà. On attend du futur DSA qu’il renforce leur effectivité sur l’ensemble du territoire européen.
Le second enjeu est celui de la protection des données personnelles : en achetant sur les plateformes de réalité virtuelle, les personnes physiques seront amenées à transmettre aux vendeurs des données personnelles plus nombreuses et d’un type nouveau. La détection des expressions du visage, la création d’avatars reproduisant le plus fidèlement possible les traits humains sont des exemples de ce que pourraient être demain l’expérience d’achat dans les galeries marchandes virtuelles.
Or les données biométriques sont considérées comme des données sensibles devant bénéficier d’une protection renforcée.
La CNIL considère notamment que le consommateur doit recevoir une information renforcée sur le dispositif et être en mesure de le refuser sans conséquence pour lui : il doit donc pouvoir poursuivre son achat. Pas sûr que le metaverse s’y prête facilement.
Plus largement, le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) devra être respecté dans un contexte beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui. La détermination du responsable du traitement pourra ainsi poser difficulté : s’agit-il du vendeur en ligne ou de la plateforme de metaverse ? Ont-ils tous les deux ce rôle, et si oui, sont-ils engagés solidairement ? Ces questions ont une importance concrète cruciale sur la responsabilité et les obligations à l’égard des utilisateurs, notamment l’obligation d’information sur les finalités de la collecte et la réutilisation des données. Leur transfert hors de l’Union Européenne n’a pas non plus fini de poser d’épineuses questions.
Autre sujet de réflexion : l’utilisateur-consommateur est naturellement un acteur essentiel du metaverse, lorsque par exemple il interagit via son avatar avec un autre utilisateur. Cet avatar, prolongement de sa personne, peut-il être titulaire de droits et engage-t-il sa responsabilité propre ?
Aujourd’hui la réponse est assez simple car le droit ne connaît que les personnes morales et les personnes physiques. Tout comportement doit donc être imputé à l’une ou à l’autre. Un avatar ne peut de ce fait acheter et payer en ligne : le consommateur est toujours une personne.
Le quatrième enjeu n’est pas le moindre. Il est celui de la protection des droits de propriété intellectuelle : droit d’auteur bien sûr mais aussi droit des dessins et modèles, et droit des marques. Les vendeurs qui proposeront leurs produits au sein d’une galerie marchande virtuelle doivent se préoccuper d’obtenir l’intégralité des droits nécessaires sur les biens reproduits dans ce nouvel univers. Les contrats de cession avec les équipes de stylistes doivent donc être impérativement revus et le cas échéant modifiés.
De même, les libellés des marques devront être impérativement augmentés pour que la commercialisation dans le metaverse puisse intervenir sans difficultés juridiques pour le vendeur. Par exemple, déposer une marque de chaussures en classe 25 ne suffira pas. Le metaverse n’est pas un site e-commerce comme les autres mais un espace virtuel nouveau.
Il faudra également garder à l’esprit que développer, exploiter ou revendre des NFT (non fongible token) inspirés ou dérivés de créations intellectuelles préexistantes sans l’autorisation du titulaire des droits est susceptible d’être qualifié de contrefaçon. Le caractère immatériel de la transaction ne change rien sur ce point. Les règles de droit existent donc pour encadrer ce nouvel espace commercial ou les avatars communiquent et se comportent comme des êtres humains. Pas sûr en conséquence qu’une nouvelle loi ou un nouveau règlement européen soit nécessaire.
Mais une fois de plus, les évolutions technologiques obligent à repenser l’utilisation des outils juridiques disponibles.