Mais au fait, quelle loi respecter dans le(s) métavers ?
Par Marion Simon-Rainaud – Les Echos Start, le 4 février 2022
Alors que le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) devraient prochainement entrer en application – avec l’ambition d’imposer aux plateformes de nouvelles obligations – des questions juridiques se posent. Réponses avec Maître Anne Cousin, avocate spécialisée en droit du numérique.
Le métavers est sur toutes les lèvres : celles des investisseurs, des entrepreneurs, des marques et même des utilisateurs les plus avant-gardistes… Mais les lois dans ces univers en réalité augmentée seront-elles les mêmes dans le monde réel ou sur le web 2.0 ? Alors que le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) devraient prochainement entrer en application – avec l’ambition d’imposer aux plateformes de nouvelles obligations, tout en maintenant le principe de leur responsabilité limitée sur les contenus illicites et en combattant leurs abus sur le marché – des questions juridiques se posent. Maître Anne Cousin, avocate spécialisée en droit du numérique, tente d’y répondre.
Les Echos START : Selon vous, quels sont les risques juridiques que les individus encourent dans le(s) métavers ?
Me Anne Cousin : Le premier risque est l’augmentation du volume de données personnelles sensibles que les plateformes détiennent sur leurs utilisateurs – que ce soit dans le cadre de leur travail ou de leur vie privée. Par exemple, Meta (ex-Facebook) veut développer des procédés de détection de la moindre expression du visage via des intelligences artificielles (IA) ou créer des avatars reproduisant trait pour trait leur utilisateur, c’est-à-dire un double virtuel… Cela donne une idée de l’ampleur du phénomène !
En France, la CNIL, gendarme des libertés numériques, a de longue date mis en garde contre les dangers de l’utilisation des données biométriques et considère que sauf dérogation dûment justifiée, elles doivent demeurer sous le contrôle de la personne physique à laquelle elles se rapportent. Est-ce envisageable dans le métavers ? La question reste ouverte…
Y a-t-il d’ores et déjà des textes qui protègent les utilisateurs de ces univers en réalité augmentée ?
Je pense que le règlement européen sur la protection des données personnelles ( RGPD ) de 2018, s’appliquera. Et donc les règles fondamentales qu’il érige aussi : la détermination du responsable du traitement, l’encadrement du transfert de données hors de l’Europe ou l’information des personnes sur les finalités de la collecte et de la réutilisation de leurs données.
Mais, le défi sera de maintenir ce niveau de sécurité dans un contexte beaucoup plus complexe que celui que nous connaissons aujourd’hui, demain, dans le(s) métavers.
Qui sera tenu pour responsable dans le(s) métavers : la personne réelle qui porte le casque VR ou l’avatar ?
La réponse ne peut pas être globale. Si l’avatar insulte l’un de ses collègues lors d’une réunion de travail virtuelle, c’est la personne « réelle » qui répondra de tels abus à la liberté d’expression. Elle pourra par exemple être licenciée par son employeur dans la vie réelle.
D’autres interrogations surgissent ici aussi : est-ce qu’un vol peut y être commis ? Et pourquoi pas… La Cour de cassation admet ainsi depuis longtemps qu’il peut concerner un bien immatériel. Est-ce qu’un homicide peut y être commis ? Probablement pas, faute d’existence légale de l’avatar. Est-ce qu’un avatar peut harceler un autre avatar ? Plutôt oui, si par le biais de celui-ci, les impacts sur l’individu en chair et en os sont les mêmes. C’est bien elle qui sera finalement victime d’une autre personne physique.
Comment protéger la « propriété » dans ce nouvel univers ?
Les droits de propriété intellectuelle doivent être respectés dans le métavers comme ailleurs. Créer des NFT , jetons non-fongibles, inspirés de créations intellectuelles sans l’autorisation du titulaire des droits est susceptible d’être qualifié de contrefaçon.
Cela suppose néanmoins de démontrer l’originalité de l’oeuvre première. Il faut également que le « créateur » des NFT ne puisse se prévaloir d’aucune exception légale au droit d’auteur telle que la parodie. Dit autrement il ne peut l’interdire. On peut imaginer alors que la plateforme métavers permettant la vente des NFT peut également engager sa responsabilité. Sur le plan juridique, le DSA n’y fera pas obstacle, bien au contraire.
De leur côté les entreprises qui commercialisent leurs produits dans une galerie marchande virtuelle devront avoir obtenu de la part des créateurs qu’elles font travailler, l’ensemble des droits nécessaires pour leur reproduction dans cet univers. Il est possible que demain les galeries marchandes virtuelles imposent aux entreprises vendeuses des conditions fortement déséquilibrées et le règlement de sortes de redevances de plus en plus élevées.
Un risque apparaît : voir une poignée de plateformes faire (encore plus) la loi sur le commerce en ligne. Les outils juridiques existent (ententes anticoncurrentielles, abus de position dominante, conditions contractuelles déséquilibrées…), même récents (DMA) mais l’effectivité des sanctions interroge.
Et quid de l’immobilier en réalité virtuelle ?
Là encore, pour ceux qui investissent , d’autres questions se posent et les réponses ne sont que partielles… Faudra-t-il pour bénéficier des soldes dans telle galerie marchande virtuelle, justifier d’une adresse à New York et d’avoir en conséquence acheté un appartement virtuel avec une monnaie cryptée stockée chez une filiale de Meta ? Pourra-t-on, demain encore, absolument tout vendre : une brique, un mur, une poignée, un couloir d’une maison, ou d’une barre d’immeubles virtuels ?
Finalement, faudra-t-il de nouvelles lois pour encadrer ce nouveau monde ?
Ce nouveau monde nous amènera sûrement à renouveler la réflexion juridique mais les bases existent. Le droit du numérique a d’ailleurs l’habitude d’évoluer plutôt que de se révolutionner. Ne perdons pas de vue que le DSA est dans la droite ligne de la loi du 21 juin 2004 qui posait il y a presque vingt ans déjà les bases de la responsabilité des acteurs de l’internet. Vide juridique ? Non, mais des adaptations seront nécessaires pour tenir compte des nouveaux enjeux.
Marion Simon-Rainaud