« La réhabilitation des friches industrielles – 3 questions à Me France-Olivia Kwan »
30 mars 2023
Interview de France-Olivia Kwan, Counsel, publiée dans le Livre Blanc Loi Climat et Résilience en urbanisme et construction – Lefebvre Dalloz Compétences
Quel est l’enjeu principal de la réhabilitation des friches industrielles ?
Face à la raréfaction du foncier, la réhabilitation des friches industrielles vise à construire des bâtiments proposant de nouveaux usages sur d’anciennes zones industrielles, notamment en périphérie des zones urbaines. Pour pouvoir affecter ce terrain à un nouvel usage de bureau ou d’habitation, il convient d’abord de réaliser des opérations de dépollution des sols qui peuvent s’avérer coûteuses. Pour cela, il existe des normes techniques qui sont
relativement complexes en fonction des types de pollution rencontrer. Les seuils de dépollution exigés vont varier en fonction de l’usage futur du terrain réhabilité. Concrètement, le maître d’ouvrage à l’origine du changement d’usage du terrain devra démontrer que les opérations de dépollution vont permettre de rendre le site compatible, notamment d’un point de vue sanitaire, avec l’usage futur. Les objectifs seront plus ou moins contraignants selon l’usage futur du site, à savoir selon qu’il s’agisse d’un usage sensible comme une crèche ou une école, d’un usage futur résidentiel ou de bureaux ou encore d’un usage futur industriel (locaux d’activités ou de stockage). C’est aussi un sujet économique. Le porteur devra déterminer en amont le montant des coûts de dépollution pour rendre le projet immobilier viable. Face à la hausse des prix des terrains et des nouvelles restrictions imposées par la loi Climat et résilience, certaines opérations de réhabilitation qui pouvaient sembler non rentables hier pourraient d’ailleurs le devenir dans les prochaines années.
Quels sont les aspects juridiques d’un projet de réhabilitation ?
Les textes sont clairs : le dernier exploitant d’une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ICPE) a l’obligation de remettre en état le terrain à la cessation de son activité, c’est-à-dire, sauf exception, pour un usage futur industriel. De son côté, le promoteur qui est à l’origine du changement d’usage futur doit s’assurer qu’il n’y a pas d’enjeu en termes de santé publique pour les futurs acquéreurs de ses constructions, et prendre en charge la dépollution complémentaire nécessaire pour rendre le terrain compatible avec le nouvel usage envisagé. Lorsque la friche est « orpheline » c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’ancien exploitant connu et solvable, le promoteur doit supporter l’intégralité des opérations de dépollution. Lorsqu’une demande de permis de construire est déposée sur une ancienne friche industrielle classée (ICPE), les services instructeurs vont normalement demander l’avis du préfet avant de délivrer le permis. Voilà pour les principes généraux. Cela dit, il existe également des outils juridiques permettant au promoteur de prend en charge les opérations de réhabilitation à la place de l’ancien exploitant. L’opération se formalise alors par une convention tripartite validée par le préfet. Cette option permet d’optimiser les coûts des travaux et de faciliter la réhabilitation des sites industriels.
Avec l’objectif de zéro artificialisation nette qu’est-ce que cela va changer concrètement pour le secteur ?
Avant même l’adoption de ce nouveau texte, nous étions déjà dans une dynamique favorable à la réhabilitation des friches. Cela s’explique à la fois par des avancées techniques pour les opérations de dépollution et par des leviers financiers pour encourager les réhabilitations. Bien sûr, la loi Climat et résilience va certainement accélérer cette tendance. En interdisant la construction sur des terrains naturels, ce texte devrait inciter les acteurs de
l’immobilier à chercher d’autres formes de foncier disponible. Dans les grandes métropoles, le choix sera simple : donner une nouvelle vie à des friches sans activité ou déconstruire et reconstruire des terrains déjà bâtis. Dans le cas de la réhabilitation, plus le temps de mise en œuvre du projet est long, plus le coût global est important et complexe à estimer en amont. C’est en cela que l’on voit apparaître de nouveaux acteurs intermédiaires qui reprennent la maîtrise du foncier pour procéder aux opérations de dépollution avant de le revendre à un promoteur.
Quels sont les leviers à disposition des acteurs pour continuer leur activité ?
Pour les friches orphelines, les coûts de dépollution peuvent être si importants que les projets de réhabilitation sont généralement non viables. Face à ce constat, le gouvernement a, dans le cadre du plan France Relance, créé un fond « Friche » dédié à financer les opérations de réhabilitation de friches industrielles. Lors des deux premières éditions de celui-ci, 650 millions d’euros avaient été mobilisés pour financer 1 118 projets. De quoi recycler environ 2 700 ha de friches, mais surtout de générer 700 000m² de logements (dont environ d’1/3 de logements sociaux), plus de 4 100 000m² d’espaces économiques (bureaux, commerces, industrie…) et enfin plus de 3 900 000m² d’équipements publics. Pour la troisième édition lancée en février dernier, le gouvernement a promis une enveloppe totale de 100 M€ dont 9 millions d’euros seront dédiés à la réhabilitation de friches polluées d’origine industrielle (ICPE) ou miniers. Cette catégorie a d’ailleurs fait l’objet d’un appel à projets spécifique porté par l’Ademe. C’est une opportunité à saisir pour les promoteurs qui peinent à trouver l’équilibre économique pour un
ou plusieurs de leurs projets de réhabilitation de friches industrielles.