Apéro en entreprise : les absents n’ont pas toujours tort !
Par Guillaume Roland et Hugo Tanguy, le 9 décembre 2022
En cette fin d’année, les pots festifs en entreprise vont se multiplier.
Toutefois, le salarié qui désapprouverait cette pratique peut-il valablement exprimer son désaccord ?
C’est la question à laquelle a dû répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt récent*.
Un salarié a fait l’objet d’un licenciement fondé notamment sur son refus d’accepter la politique de l’entreprise et les méthodes de management des associés, et en particulier son rejet des valeurs « fun and pro » se traduisant selon lui par « la nécessaire participation aux séminaires et aux pots de fin de semaine générant fréquemment une alcoolisation excessive de tous les participants, (…) et par des pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages ».
Devant les juridictions prud’homales, il contestait la rupture de son contrat de travail, en invoquant une violation de sa liberté d’expression.
La jurisprudence retient en effet de longue date que le salarié jouit au sein de l’entreprise et hors de celle-ci de sa liberté d’expression, qui doit lui permettre, sauf abus, d’exprimer librement une opinion et tenir des propos sur l’organisation de l’entreprise (Cass. Soc., 14 décembre 1999, n°97-41.995).
La Cour d’appel saisie du litige valide le licenciement, retenant que ce n’est pas tant le refus d’accepter la politique « fun and pro » de l’entreprise qui est reproché au salarié, que son attitude générale marquée par « une rigidité, un manque d’écoute et un ton parfois cassant et démotivant vis-à-vis de ses subordonnés et son impossibilité d’accepter le point de vue des autres » qui constituent des critiques de son comportement et ne sont pas des remises en cause de ses opinions personnelles.
La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cependant cette décision et retient qu’est illicite le motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression, ce qui entraîne la nullité du licenciement.
Notre avis : Cet arrêt rappelle l’attachement de la Cour de cassation à la protection des libertés fondamentales dans l’entreprise et notamment la liberté d’expression, et peut à notre sens s’étendre à toute forme de remise en cause de la politique et des valeurs de l’entreprise, y compris sur des sujets plus fondamentaux que ses usages festifs.
Rappelons cependant que cette protection s’arrête là où commence l’abus (propos excessifs, diffamatoires ou injurieux, notamment).
*Cass. Soc., 9 novembre 2022, n°21-15.208