Abandon de l’irrecevabilité de principe de la preuve déloyale

 

 

Par Guillaume Roland et Julie Pleuvret, le 12 janvier 2023

 

La Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a rendu le 22 décembre 2023, une décision* très attendue opérant un revirement de jurisprudence quant à la recevabilité de la preuve déloyale.

Jusqu’alors et depuis 2011, une preuve déloyale, obtenue à l’insu d’une personne ou au moyen d’une manœuvre ou d’un stratagème devait systématiquement être déclarée irrecevable. Seule la preuve illicite (obtenue en violation de la loi ou en portant atteinte à certains droits) peut être déclarée recevable si elle est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et si l’atteinte qui en résulte est strictement proportionnée au but poursuivi.

Dans cette affaire, un employeur entendait prouver l’insubordination d’un salarié licencié pour faute grave au moyen d’enregistrements sonores obtenus à l’insu du salarié.

La Cour d’appel, en application du principe de loyauté de la preuve, avait écarté d’emblée les enregistrements clandestins des débats. L’employeur forme un pourvoi considérant « que l’enregistrement audio, même obtenu à l’insu d’un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu’il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l’employeur et qu’il a pu être discuté dans le cadre d’un procès équitable ».

Consciente de « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites », la Cour de cassation décide d’aligner sa position sur celle de la jurisprudence européenne qui ne connait pas une telle distinction.

Au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile, elle décide qu’il y a lieu de considérer désormais que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

 

Notre avis : Le régime des preuves illicites et déloyales se trouve désormais unifié après l’abandon d’une jurisprudence qui pouvait conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits. Il en résulte que la preuve déloyale n’est recevable qu’à à condition d’être l’unique moyen dont dispose la partie qui la produit de faire triompher ses prétentions.

 

*Cass. ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648

 

=> Pour tout conseil en droit social ou droit de la sécurité sociale, nous vous invitons à contacter Guillaume Roland, associé => g.roland@herald-avocats.com