Contentieux prud’homal : la preuve illicite continue de faire ses preuves
Par Guillaume Roland, le 27 octobre 2023
Tout se sait : c’est cette leçon qu’ont apprise à leurs dépens deux infirmières qui sur leur temps et lieu de travail avaient organisé des soirées alcoolisées, l’une étant agrémentée d’une séance photos en maillot de bain…
Et pourtant, elles se pensaient à l’abri de toute poursuite car les seules preuves étaient des photos échangées avec une ancienne collègue sur le réseau social Messenger. Il était inconcevable que l’employeur en ait d’abord connaissance, ensuite qu’il les obtienne et enfin qu’il s’en serve… et pourtant !
Les deux infirmières ont donc été licenciées et ont contesté leur licenciement basé selon elles sur des preuves illicites.
Déboutées en Cour d’appel, elles ont saisi la Cour de cassation* qui a rejeté leurs pourvois en rappelant sa jurisprudence désormais classique selon laquelle « l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
En l’état, la preuve par photos des soirées alcoolisées avait été obtenue par une extraction d’une conversation groupée sur Messenger mais aussi par des attestations d’autres salariés, une alerte sociale et une ouverture des vestiaires.
La Cour de cassation admet donc une preuve illicite dans ces affaires alors même que l’employeur disposait d’autres moyens de preuve. Elle semble ainsi limiter le sens de l’adjectif « indispensable » lorsqu’elle énonce que « la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié » n’est acceptable que s’il est « indispensable à l’exercice du droit à la preuve ».
Il est probable pour expliquer cette jurisprudence moins exigeante de la Cour que le contexte (un établissement hospitalier) et l’ancienneté des salariées (26 et 29 ans) ont joué contre elles.
Notre avis : Le droit à la preuve prend de l’ampleur. Néanmoins, tout n’est pas possible : la Cour de cassation a rejeté récemment des preuves tirées de la vidéosurveillance dans d’autres arrêts des 13 septembre (n°22-14.461) et 4 octobre 2023 (n°22-18.105). Chaque dossier doit donc être examiné avec attention.
*Cass. Soc., 4 octobre 2023 n°21-25.452 et n°22-18.217
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