La maladie d’Alzheimer, l’abus de faiblesse et les contentieux successoraux
Par Stéphane Micheli et Clémentine Pousset, le 28 avril 2020
Cass. Crim. 27 novembre 2019, pourvoi n°18-87082
Chacun sait que la disparition d’un proche peut être source de conflits familiaux, en particulier lorsque le décès est intervenu à la suite d’une maladie susceptible d’altérer le consentement, telle la maladie d’Alzheimer. Un héritier peut alors découvrir qu’un tiers ou un autre héritier a profité de l’état de faiblesse du défunt pour l’inciter à réaliser des actes dans son seul intérêt, sans considération de la volonté du de cujus.
Cet abus peut alors prendre différentes formes : un héritier, ou encore un proche ou un aidant, peut profiter de la maladie de la personne souffrante pour l’inciter à l’instituer légataire universel par testament ou à lui consentir plusieurs donations en ce compris des dons manuels (classiquement le retrait d’argent liquide sur le compte).
1. Dans un tel cas, l’héritier écarté peut être tenté de déposer une plainte pour abus de faiblesse, au visa de l’article 223-15-2 du Code pénal qui dispose : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.»
Ce texte a connu plusieurs évolutions : ainsi, et notamment, depuis 2001, il s’agit d’une infraction contre les personnes et non plus contre les biens, et la cour de cassation en a déduit qu’un simple préjudice moral suffit (Crim. 15 novembre 2015, n°04-86051).
De même, en 2009, le législateur a précisé que la vulnérabilité devait simplement être « apparente ou connue » de son auteur et non plus être « apparente et connue ».
La maladie d’Alzheimer ne suffit pas à caractériser l’infraction
2. En revanche, les juridictions apprécient très strictement « l’état de faiblesse ou de particulière vulnérabilité » de la victime puisque, selon les juges, seule une altération des facultés mentales susceptible d’altérer le discernement, existant au moment de l’acte litigieux, connue de l’auteur de l’infraction, peut permettre de caractériser l’élément matériel de l’abus de faiblesse. Le grand âge ou encore la maladie d’Alzheimer ne permettent pas, par exemple, de démontrer l’existence d’une altération des facultés mentales.
C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation, dans un récent arrêt du 27 novembre 2019 par lequel elle précise que le grand âge de la prétendue victime, ou encore la maladie d’Alzheimer, ne sont pas suffisants pour caractériser l’infraction, dès lors que la preuve d’une altération de ses facultés mentales n’est pas rapportée.
Les faits étaient simples : Madame U avait rédigé un testament le 10 mai 2004 dans lequel elle léguait à son fils, Monsieur D, des biens et valeurs (on suppose la quotité disponible). Non contente d’avoir été écartée du testament, la sœur de Monsieur D et donc fille de la défunte, Madame D, a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre son frère pour abus de faiblesse commis sur sa mère.
Les investigations menées ont notamment porté sur l’état de santé de Madame U à la date d’établissement du testament, sachant qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer.
A l’issue de l’information, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de non-lieu en relevant que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée.
Sur pourvoi interjeté par la fille de défunte, la Cour de cassation confirmé le non-lieu en relevant que la Chambre de l’instruction avait, à juste titre, considéré que, même si sa mère présentait un état de dégénérescence progressive liée à sa maladie et qui s’est accentué en 2004, année durant laquelle elle a rédigé son testament, cette dégénérescence n’avait pas altéré son discernement.
Ainsi, la cour de cassation reprend l’analyse de l’expert psychiatre qui observe que la défunte, pour vulnérable qu’elle fût, ne présentait pas d’altération de son consentement au moment des faits.
Voilà qui est précisé : lorsqu’au moment des faits litigieux, la prétendue victime ne présente pas d’altération de ses facultés mentales, l’abus de faiblesse ne peut être caractérisé quand bien même elle présenterait une maladie, telle que celle d’Alzheimer.
La notion d’intervalle de lucidité
3. Cette jurisprudence intéressante de la chambre criminelle de la cour de cassation rejoint celle de la chambre civile relative aux testaments. Cette dernière valide en effet classiquement les testaments des personnes présentant des troubles cognitifs – souvent liés à l’âge – dès lors que l’acte critiqué a été réalisé pendant un « intervalle de lucidité ».
Cette position s’explique sans doute aussi par l’augmentation tant de l’espérance de vie que des conditions d’existence qui conduisent les personnes à établir leur testament à un âge avancé.
En conclusion, à l’instar de l’action en nullité du testament, l’abus de faiblesse ne pourra être caractérisé qu’en rapportant la preuve d’une altération des facultés mentales de la victime susceptible d’altérer son discernement au moment des faits, cette altération devant être circonstanciée et précisée le plus souvent au moyen d’expertises. La seule maladie d’Alzheimer n’est pas suffisante en elle-même pour établir un abus de faiblesse.
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