Présomption de démission en cas d’abandon de poste : de fausse bonne idée à usine à gaz

 

 

Par Guillaume Rolandle 21 avril 2023

 

Le Décret complétant la loi « Marché du travail » est enfin paru. Rappelons que conformément à cette loi, un salarié qui a abandonné volontairement son poste est dorénavant présumé démissionnaire et ne peut par conséquent percevoir automatiquement des allocations Pôle Emploi.

Ce qui s’avérait si simple à mettre en place pour les pourfendeurs des profiteurs d’allocations sociales, mais dont on pouvait douter de l’efficacité (selon la DARES, ceux qui abandonnent leur poste s’inscrivent moins à Pôle Emploi car souvent leur abandon est motivé par la reprise d’un nouvel emploi), est en définitive complexe et inutile.

 

Un nouveau dispositif complexe

Selon le décret, l’employeur pourra, en cas d’abandon de son poste par un salarié, prendre acte de sa démission, laquelle sera présumée si une mise en demeure adressée par l’employeur au salarié de justifier de son absence et de reprendre le travail sous un délai au minimum de 15 jours, est restée vaine.

Le salarié peut répondre à la demande de l’employeur en l’informant d’un motif « légitime » de nature à faire obstacle à la présomption de démission. Le décret liste plusieurs motifs pouvant être invoqués par le salarié : raisons médicales, exercice du droit de retrait, du droit de grève, refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation, ou modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

Si le salarié n’a pas répondu, l’employeur pourra lui adresser un courrier pour l’informer qu’il est présumé démissionnaire et l’inviter à respecter son préavis.

 

Un nouveau dispositif inutile

 On peut réellement douter que les employeurs s’accaparent ce process, quelques exemples suffiront pour s’en convaincre :

– un salarié qui abandonne son poste est généralement licencié pour faute grave, quel que soit le système choisi, l’employeur n’a donc pas à payer d’indemnité de licenciement.

– en cas de licenciement pour faute grave, il n’y a pas de préavis (le rédacteur du décret croit-il sincèrement qu’un salarié qui a abandonné son poste revienne exécuter son préavis ?),

– ajoutons que les motifs « légitimes » à disposition du salarié ne l’exonèrent pas contre un licenciement pour faute : un salarié absent pour maladie doit prévenir son employeur dans les 72h, à défaut il encourt une sanction disciplinaire, pour l’employeur il sera toujours plus rapide dans ce cas d’engager un licenciement que de recourir à ce nouveau process ; de même le salarié qui exerce son droit de grève, doit avoir prévenu préalablement son employeur de ce qui motive cette grève, à défaut il est en abandon de poste injustifié susceptible de sanction ; ici encore, quel est l’intérêt de l’employeur d’attendre ?

– la démission du salarié sera présumée, mais ce dernier peut toujours la contester devant le Conseil de Prud’hommes ; l’employeur n’est donc absolument pas protégé par ce process.

 

Notre avis : On pourrait multiplier les exemples qui vont éloigner les employeurs de cette procédure. Sa complexité, ses délais, ses insuffisances devraient en faire un objet juridique « mort-né ». Terminons par une réflexion de bon sens : selon ce nouveau process, un salarié licencié pour faute lourde (pour avoir par exemple volontairement mis le feu à son entreprise), touche des allocations-chômage, pas celui qui abandonne son poste…

 

Loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022

Décret n°2023-275 du 17 avril 2023

 

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