« On assiste à une véritable révolution dans la lutte contre la contrefaçon ! »
12 octobre 2023
Interview de Nathalie Moullé-Berteaux, associée, pour Le Journal du Luxe
Échange avec Nathalie Moullé-Berteaux, avocate associée du cabinet d’affaires Herald et spécialiste du sujet de la lutte contre les contrefaçons.
Quel est votre parcours ?
Ma carrière a débuté avec la création du groupe LVMH, en 1987. Spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, j’en ai accompagné la croissance externe pendant 23 ans avant de devenir Directrice exécutive, affaires publiques & juridiques du groupe Lacoste. J’ai ensuite rejoint le Barreau de Paris où je travaille depuis 10 ans, aux côtés de grands noms du Luxe, à la valorisation des actifs stratégiques que sont les marques, les droits d’auteur et les autres droits de propriété intellectuelle.
Pourquoi les Maisons de Luxe sont-elles particulièrement exposées à la contrefaçon ?
Ces Maisons, qui se construisent sur leur histoire, ont su développer des marques à l’aura forte. Ainsi, en privilégiant excellence et qualité, elles créent de la rareté et du désir, tout en continuant à investir dans la création de produits innovants et l’utilisation de nouvelles matières. C’est pourquoi, avides de profits rapides, les contrefacteurs copient souvent l’apparence des produits sans se soucier de la qualité et ce, aux dépens des consommateurs. On est donc sur une mécanique de pillage !
Ce phénomène de contrefaçon s’est-il accentué ces dernières années ?
Malheureusement oui… Les années 1995-2000 ont vu une croissance des échanges commerciaux dans le cadre de la mondialisation, facilitée par l’émergence d’internet et des gros acteurs de l’e-commerce ; le commerce illégal de la contrefaçon en a largement profité, s’adaptant aux nouveaux usages du web, en particulier avec le développement de places de marché en ligne.
Quelles sont les principales problématiques ?
Pour les Maisons de Luxe, il s’agit de combattre l’usage non autorisé de leurs marques déposées et d’éviter une banalisation de leurs créations originales protégées par des modèles et/ou droits d’auteur.
Face à cette nouvelle donne, quels ont été les nouveaux moyens de lutte ?
Dès 2003 à New York, l’idée naît, au sein de Maisons de Luxe, d’agir non plus contre les seuls vendeurs de contrefaçon mais aussi contre les intermédiaires qui facilitent ce commerce illégal : les propriétaires des immeubles de Canal Street (New York) qui louent leurs locaux à des vendeurs de contrefaçons de produits de luxe sont immédiatement pris pour cibles. Les procédures judiciaires qui s’ensuivent donnent lieu à des injonctions puis à des accords, les propriétaires s’engageant aux côtés des Maisons de Luxe à combattre tout commerce illégal. Ce faisant, les immeubles et le quartier sont revalorisés. On assiste à une véritable révolution dans la lutte contre la contrefaçon !
Plusieurs initiatives de ce type sont ensuite lancées à travers le monde : des contentieux sont engagés au Brésil, en France et en Chine où la Cour suprême donne raison à Chanel, Gucci, Louis Vuitton et Prada contre le Silk Market à Pékin, mondialement connu comme haut lieu de la contrefaçon.
Après ces procédures judiciaires s’ensuit un dialogue entre Maisons de Luxe et les places de marché, aboutissant notamment à un accord entre eBay et LVMH : « grâce à nos efforts communs, les consommateurs pourront bénéficier d’un environnement digital plus sûr, au niveau mondial« .
En quoi le Luxe a-t-il été pionnier dans cette lutte de la contrefaçon ?
Cible de choix des contrefacteurs, le Luxe français a été pionnier de la lutte contre la contrefaçon. La mobilisation des Maisons de Luxe au sein d’institutions comme le Comité Colbert a entraîné une prise de conscience de la part des pouvoirs publics français. Ainsi, en 2009, devant la nécessité de défendre l’industrie française du Luxe et d’enrayer la propagation de la contrefaçon en ligne à d’autres secteurs, notamment le médicament et la santé, le Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie a engagé un processus de dialogue entre marques et acteurs de l’internet sous forme d’auditions à l’Assemblée nationale, qui a aboutit à la signature d’une charte sous l’égide de Christine Lagarde, une démarche pionnière ! D’autres chartes seront ensuite signées pour l’Union européenne en 2011 et 2016.
2022 : une formalisation plus concrète de ce cheminement anti-contrefaçon ?
Tout à fait, le 19 octobre 2022 a été voté le Digital Services Act, un règlement européen qui vise à mieux encadrer les activités des plateformes et en particulier des GAFAM, avec pour principe que ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Ce règlement entre en vigueur dès le 25 août 2023 pour 19 grandes plateformes dont les réseaux sociaux et moteurs de recherche (Alibaba, Amazon, Apple, Facebook, Google, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, etc…) Il intègre de façon plus contraignante les obligations de signalement et retrait des contenus illicites prévues dans les chartes.
Quelles sont maintenant les nouvelles perspectives ?
Il y a un enjeu à exporter toutes ces bonnes pratiques et conflits transformés en dialogues constructifs, puis formalisés sous forme de chartes et de règles de droit. Paris, place de droit, est légitime à accompagner la révolution digitale comme elle l’a fait il y a 140 ans avec la révolution industrielle par une convention internationale signée par 179 pays.
C’est aussi à chaque Maison de Luxe de rester en alerte pour anticiper, par une posture préventive, toute nouvelle problématique de contrefaçon générée par les évolutions digitales et engager le dialogue nécessaire avec les nouveaux acteurs comme les Maisons de vente aux enchères en ligne.