Insuffisance professionnelle et faute disciplinaire : cumul des motifs ?
Par Guillaume Roland et Hugo Tanguy, le 26 janvier 2023
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.
Elle se distingue d’une faute professionnelle en ce qu’elle ne procède pas d’un comportement volontaire.
Selon la Cour de cassation, la distinction entre ces deux motifs de licenciement réside donc dans l’intention du salarié : l’insuffisance professionnelle sera écartée en cas d’abstention volontaire ou de mauvaise volonté délibérée du salarié dans la réalisation de ses fonctions.
Dès lors, une lettre de licenciement qui reprocherait à un salarié un comportement qualifié de fautif sans que celui-ci procède en réalité d’un comportement volontaire de ce dernier, privera la rupture de cause réelle et sérieuse, même si l’insuffisance est avérée (notamment, Cass. Soc., 20 janvier 2016, n°14-21.744).
Si un même comportement ne peut donc, caractériser à la fois une insuffisance professionnelle et un motif disciplinaire, qu’en est-il lorsque l’employeur reproche au salarié deux comportements distincts, l’un considéré comme fautif, et l’autre comme relevant d’une insuffisance professionnelle ?
La Chambre sociale de la Cour de cassation répond à cette question dans un arrêt récent*.
Un salarié s’était vu licencier pour deux motifs distincts : d’une part un motif disciplinaire caractérisé par le climat de souffrance au travail qu’il imposerait à ses collègues et subordonnés et qui constituerait des faits de harcèlement moral, et d’autre part un motif personnel non-disciplinaire tenant notamment à un manque d’implication, une absence de soutien de ses équipes, et un défaut de communication sur des décisions contestées.
Les juges du fond ont retenu que le harcèlement moral était insuffisamment caractérisé, mais que les éléments produits permettaient de démontrer une insuffisance professionnelle justifiant le licenciement.
Dans son pourvoi, le salarié faisait valoir que le licenciement s’étant placé sur le terrain disciplinaire, et aucun des motifs ne présentant de caractère fautif, le juge ne pouvait retenir que le grief d’insuffisance professionnelle caractérisait une cause réelle et sérieuse.
La haute juridiction rejette cependant cet argument, jugeant que « l’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts. »
Notre avis : La frontière entre manquement disciplinaire volontaire et insuffisance professionnelle est souvent poreuse ; dans le cas d’espèce, l’existence de deux motifs distincts n’était pas évidente, la Cour d’appel évoquant « des manquements de l’appelant à sa lettre de mission et qui caractérisent une insuffisance professionnelle ».
Nous vous conseillons la plus grande prudence dans le choix des termes de votre lettre de licenciement.
*Cass. Soc., 17 janvier 2024, n°22-19.733
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