Gérer les délais en période de crise: les ordonnances du 25 mars 2020
Par Anne Cousin, le 26 mars 2020
Le Journal Officiel publie ce 26 mars plusieurs ordonnances en application de la « loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ».
Ces ordonnances détiennent des conséquences directes sur les délais applicables en matière civile ou commerciale, contractuelle et pénale.
En matières civile et commerciale
L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période concerne :
– tout acte, recours, action en justice, déclaration, qui ne relève pas du droit pénal ou de la procédure pénale,
– certaines mesures administratives ou juridictionnelles, qui ne relève pas du droit pénal ou de la procédure pénale.
Les dispositions de l’ordonnance sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
1. Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée ci-dessus sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit.
L’ordonnance prévoit donc dans l’ensemble de ces hypothèses très larges d’acte (par exemple des conclusions devant la Cour d’appel), d’action en justice (par exemple par voie d’assignation devant le tribunal judiciaire), déclaration (par exemple de créances), l’application du mécanisme de la suspension, assorti d’une période butoir de deux mois.
Par exemple, l’assignation qui devait être délivrée à peine de prescription le 12 avril 2020 pour interrompre un délai légal de prescription de 5 ans, pourra l’être jusqu’au 12 juin 2020, si l’état d’urgence sanitaire prend fin le 25 mai 2020.
2.Les mesures conservatoires (telles que les séquestres), d’enquête, d’instruction (telles que les expertises), de conciliation ou de médiation (seulement judiciaire) et les mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction, sont toutes prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de la période d’urgence sanitaire. Les délais de validité ou la date d’expiration de telles mesures sont donc reportées sans formalité. Mais attention, les actes éventuellement nécessaires pour qu’elles produisent leurs effets devront probablement être pris avant le 25 juillet 2020 si la période d’urgence sanitaire prend fin le 25 mai 2020.
En matière contractuelle
La même ordonnance concerne également les modalités d’application des diverses clauses de pénalités ou d’astreintes, les clauses résolutoires et celles qui prévoient la résiliation ou la poursuite des relations contractuelles à la condition d’une manifestation de volonté dans un certain délai.
Tous les contrats civils ou commerciaux sont en principe concernés.
Le mécanisme est le suivant :
1. Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont tout d’abord réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire.
Leur application se trouve donc paralysée pendant toute cette période.
Ensuite, ces astreintes et ces clauses prennent cours et produisent leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période.
En outre, le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la même période.
Par exemple, une mise en demeure d’exécuter sous peine de résiliation d’un contrat commercial à l’issue d’un préavis expirant le 12 avril 2020, ne produira ses effets qu’à compter du 25 juin 2020 si la période d’urgence sanitaire prend fin le 25 mai.
2. Par ailleurs, l’ordonnance prévoit que lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période où ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période d’urgence sanitaire, de deux mois après la fin de cette période.
Concrètement, si un contrat conclu le 12 avril 2018 prévoit qu’il sera tacitement reconduit sauf dénonciation par l’une des parties au plus tard le 12 avril 2020, celles-ci disposent en réalité d’un délai expirant le 25 juillet 2020 pour s’opposer à la prolongation des relations contractuelles.
La durée du contrat se trouve donc allongée d’autant. Mais les droits et obligations des parties ne s’en trouvent pas pour autant modifiés.
En matière pénale
L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 porte adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Ses dispositions sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Contrairement à ce que la loi d’habilitation pouvait laisser supposer, peu de délais sont finalement concernés.
1. L’essentiel est que les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
En conséquence, le délai ne court plus pendant toute cette période et une fois celle-ci achevée, le délai repart à la date ou il s’est arrêté, et la fraction du délai déjà écoulé reste acquise.
Par exemple, le délai de prescription de l’action en diffamation, démarré le 12 janvier 2020 et qui aurait donc dû être interrompu le 12 avril 2020 au plus tard, devra l’être le 25 juin au plus tard si la période d’urgence sanitaire prend fin le 25 mai 2020.
2. Par ailleurs l’ordonnance prévoit que les délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés sans pouvoir être inférieurs à 10 jours. Le délai d’appel est ainsi porté à 20 jours et le délai de pourvoi à 10 jours.
De nombreux délais ne sont pas aménagés par l’ordonnance et restent normalement applicables, sans report, suspension ou prorogation. Il en est ainsi notamment du délai de trois mois imparti à la partie civile pour saisir un juge d’instruction après avoir adressé sa plainte au Procureur de la République.