Délais de prescription et de procédure en période de crise

Mise à jour le 24 mars 2020

 

 

 

Par Anne Cousin, le 24 mars 2020

 

 

 
Le Journal Officiel publie ce 24 mars la « loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 »
 
Elle comprend d’importantes dispositions relatives à la prescription et aux délais de procédure, applicables dès le 12 mars 2020
 
Les ordonnances qu’elle autorise doivent intervenir dans le délai d’un mois

 

 

 

Les délais

 

L’article 11 de la loi a notamment pour objet d’habiliter le Gouvernement, afin de faire face aux conséquences de nature administrative ou juridictionnelle de la propagation du virus Covid-19, à prendre par ordonnance toute mesure (…)

« Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 et ne peuvent excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises par le Gouvernement pour ralentir la propagation de l’épidémie de covid-19.

Ce texte est donc extrêmement large puisqu’il vise tous les types de délais connus du droit français et dont les champs d’application et régime respectifs ne sont pas toujours parfaitement clairs. Cette énumération devrait donc limiter les difficultés sur ce point.

Le texte n’effectue par ailleurs aucune distinction entre la matière civile et la matière pénale. Elles sont donc toutes les deux visées.

Tous les délais concernés par la loi pourraient être selon les cas interrompus, suspendus ou adaptés, mais pour une durée n’excédant pas trois mois à compter de la fin des mesures de police administratives prises par le Gouvernement.

Comment dès lors calculer le délai utile pour agir par exemple en responsabilité contractuelle ou interrompre régulièrement la prescription de l’infraction de diffamation ?

La loi ne dit rien sur ce point et les futures ordonnances seront peut-être plus précises. Le sujet est en effet hautement sensible et la jurisprudence a montré que ce calcul n’était pas sans présenter d’importantes difficultés pratiques.

En effet, l’article 2234 du Code civil prévoit déjà que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ».

Or, la Cour de cassation a retenu que « la règle selon laquelle la prescription ne court pas […] ne s’applique pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription[1] ».

Dans ces conditions, si par exemple un an restait à courir le 12 mars 2020, et que les mesures de police prennent fin le 24 mai 2020, le délai de prescription contractuel devra impérativement être interrompu le 12 mars 2021, sans que la suspension puisse jouer puisque le demandeur dispose d’un délai suffisant après la fin des mesures administratives pour agir en justice.

Si au contraire, on entend appliquer les effets complets d’une suspension, comme la jurisprudence civile parait le retenir désormais[2], il serait logique de prolonger le délai de prescription de la durée de l’empêchement d’agir, quelle que soit la date d’expiration du délai de prescription ainsi allongé.

Dans ce même exemple, le demandeur pourrait engager son action jusqu’au 24 août 2021, compte de la durée estimée des mesures de police administrative, augmentée de trois mois comme le prévoit la loi du 24 mars 2020.

On ne saurait trop recommander à ce stade d’adopter la position la plus stricte.

 

 

L’instance

 

L’article 11 de la loi habilite également le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure adaptant les règles relatives aux « délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue » et « aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire ».

Il s’agit d’après le texte de limiter la propagation de l’épidémie parmi les « personnes participant à la conduite et au déroulement des instances ».

Il ne s’agit donc pas de faciliter l’action du justiciable. Ce n’est pas sur le fondement de ce texte semble-t-il que les nombreux délais prévus pour l’accomplissement de diligences devant le tribunal de grande instance ou la cour d’appel pourraient être suspendus ou reportés.

En revanche, devraient être concernés nombre de ceux qui encadrent le déroulement de l’instruction pénale.

La loi permet aussi l’aménagement par ordonnance ultérieure des règles relatives au déroulement des gardes à vue, pour permettre l’intervention à distance de l’avocat et la prolongation de ces mesures pour au plus la durée légalement prévue sans présentation de la personne devant le magistrat compétent. 

Les futures ordonnances pourront aussi aménager les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique.

Les délais d’audiencement pourront être allongés pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle.

Une circulaire du 14 mars 2020[3] « relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19 » avait déjà tiré les conséquences de la jurisprudence qui permet la suspension de plusieurs délais de procédure pénale en cas de « circonstances insurmontable » et en donnait plusieurs exemples précis.

 

 

[1] Cass. Civ 1ère, 29 mai 2013, n°12-15001

[2] Cass. 2e civ., 28 juin 2018, n° 17-17481

[3] Circulaire du 14 mars 2020 « relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19 » / CRIM-2020-10/E1-13.03.2020 / N° NOR : JUSD2007740C