A qui profite la loi Egalim 2 ?
Tribune de Corinne Hovnanian publiée dans le Magazine LSA – 16 mars 2022
Dans cette tribune, Corinne Hovnanian, avocat associé au cabinet Herald , parle de la complexité et du paradoxe de la réforme Egalim 2. Avec une question ouverte : à qui profite-t-elle ?
La loi n°2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Egalim 2» n’est probablement pas la dernière réforme sur le sujet tant celle-ci a posé et continue de poser, au-delà de son caractère lacunaire à certains égards, des difficultés d’interprétations et d’application. Bien plus, ses effets sont, en réalité, au lendemain de la clôture des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dans un contexte économique affaibli par la crise sanitaire pour le moins mitigés voire contestés par le plus grand nombre. Juristes, et opérateurs économiques du secteur ont dû faire face à plusieurs casse-têtes avant la signature des conventions qui pour la plupart d’entre elles, devait intervenir au plus tard le 1er mars à 23h59.
Le premier casse-tête résulte à n’en pas douter de la complexité de la loi EGALIM 2 laquelle pose ou renforce l’existence de différents régimes juridiques applicables selon la nature des produits vendus, selon le statut juridique du vendeur mais également de l’acheteur. Ainsi, pas moins de six régimes coexistent désormais : le régime général est fixé par l’article L 441- 3 du code de commerce, le régime relatif aux produits de grande consommation définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation encadré par l’article L 441-4 dudit code, le régime des produits à marque distributeur est quant à lui défini à l’article L.441-7 du même ; le régime des produits alimentaires et produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie est fixé à l’article L.443-8 ; le régime des produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production est régi par l’article L.443-2 du code de commerce ; et enfin le régime des produits agricoles entre producteur et premier acheteur est visé aux articles L.631-24 et suivants du code rural et de la pêche maritime. Cette variété de régimes, se juxtaposant parfois crée des situations complexes à gérer en pratique.
Le deuxième casse-tête résulte de la difficulté des acteurs du secteur à identifier les fameux indicateurs, devenus désormais incontournables sous certaines réserves, aux termes de l’article L443-4 du code de commerce. Ainsi, les conditions générales ou catégorielles de vente (article L441-1 du code de commerce) de même que les conventions régies par les articles précités L.441-3, L441-4, L441-7, L.443-2 et L 443-8 doivent y faire référence. Ces indicateurs ont vocation à être utilisés lors de la mise en œuvre de la clause de révision automatique du prix (article L 443-8 du code de commerce) ou encore de celle relative à la renégociation (article L 441-8 du code de commerce).
Le troisième casse-tête résulte de la difficulté à faire passer les augmentations de tarif. Le contexte économique que nous traversons lequel a déjà fortement affaibli les entreprises, s’est invité à la table des négociations en ajoutant un degré de tension entre les acteurs concernés. Naturellement ces augmentations bien que justifiées et réelles en raison des évolutions significatives à la hausse du prix des matières première agricoles, des intrants, de l’énergie, du gaz, du pétrole ont été malgré tout, âprement négociées.
Le partage des coûts entre les parties prenantes n’a pas été à la hauteur des espérances et a conduit à des augmentations non négligeables des prix à la consommation générant l’ire des consommateurs.
La loi Egalim 2 n’est certes pas l’unique responsable de tous ces maux. Cependant, les nouvelles contraintes juridiques issues de ce texte ont renforcé la complexité des négociations.
Il est certain que le décryptage rigoureux de la loi une fois achevé et nécessaire à la bonne compréhension de celle-ci et surtout à sa mise en œuvre tant contractuelle qu’opérationnelle laisse en suspens certaines interrogations dues en partie aux lacunes du législateur.
En effet, certains décrets annoncés sont toujours en attente, comme ceux de l’article L 441-1-1 du code de commerce. Un décret devait exclure du dispositif de transparence les produits alimentaires ou produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie dont la part agrégée des matières premières agricoles et des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles, composant ces produits est inférieure ou égale à un seuil qui ne peut excéder 25 %. Un autre décret devait fixer la liste des professions présumées présenter les garanties pour exercer la mission de tiers indépendant. A l’heure de la rédaction de cet article ces décrets sont absents de l’arsenal juridique.
En conclusion, cette loi n’a certes pas été bien vécue pendant les négociations commerciales par les différents opérateurs de la chaine de distribution mais une chose est certaine : du producteur agricole, à l’industriel fabricant ou encore aux distributeurs, les contraintes juridiques de plus en plus complexes se sont heurtées de plein fouet à la réalité économique au détriment du consommateur.
Egalim 2 a-t-elle réellement réussi son pari visant à mieux protéger et encadrer la rémunération de nos agriculteurs français ? Il semble bien que leur situation économique soit toujours préoccupante. Il est pour l’heure prématuré de statuer sur les effets de cette loi, les prochains mois seront riches d’enseignement.